Requiem allemand

Une histoire des juifs allemands 1743-1933

Autor/Hrsg Auteur/Editeur: Elon, Amos
2010, Denoël, Paris 2010, ISBN10: 2207260313

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Rezension / Compte rendu:
Symbiose judéo-allemande

Le début : à l'automne 1743, un garçon de quatorze ans entre à Berlin par le Rosenthaler Tor, la seule porte par laquelle les juifs (et le bétail) fussent autorisés à passer. Personne n'aurait su prédire le destin fabuleux de ce bossu bègue qui ne connaissait que l'hébreu et le Judendeutsch, dont un guide prétendit par la suite que l'histoire de la littérature allemande commença avec son arrivée.
Un des premiers juifs pratiquants pleinement assimilé dans la haute culture allemande, Mendelssohn, devint le premier juif allemand à acquérir une notoriété européenne comme philosophe et homme de lettres admiré par Kant et Herder. C'est cette histoire tellement prometteuse, mais également si contrariée, si embrouillée et, en définitive, si terrible, que retrace avec force et pénétration Amos Elon, essayiste et journaliste israélien, disparu en 2008. La dualité de l'Allemand et du juif - deux âmes dans un même corps - devait préoccuper les juifs allemands tout au long du 19e siècle et les premières décennies du 20e . En termes culturels et économiques, rarement une minorité ethnique ou religieuse fut aussi visible et, pour le meilleur et pour le pire, magnifiée à ce point et surévaluée dans l'opinion. Rarement, confluence de deux traditions culturelles, ethniques ou religieuses, s'était révélée d'une telle richesse créatrice : en littérature, Heine, Börne, Kafka, Werfel, Zweig, Wolfskehl, Borch et Kraus ; dans les sciences, Willstätter, Haber, Ehrlich, Einstein et Freud ; en musique Mahler, Weill, Schönberg et le petit fils de Mendelssohn, Félix Mendelssohn-Bartholdy. En politique, ils furent les fondateurs de la plupart des partis allemands. Militants, on les retrouve surtout parmi les libéraux et dans les rangs de l'extrême-gauche. Dans le domaine de la critique sociale, surtout avec la célèbre école de Francfort, ils furent incisifs, voire impertinents. Mais dans l'ensemble, ils étaient aussi conformistes que la plupart des Allemands, sinon plus. Reste que la précarité constante de leur situation en poussa plus d'un à cultiver un scepticisme et une ironie qui devinrent leur marque distinctive. Malgré tout, les juifs d'Allemagne ne renoncèrent jamais à leur effort pour fusionner les identités juive et allemande. Leur véritable foyer n'était pas « l'Allemagne », mais la culture et la langue allemandes. Leur religion véritable était l'idéal bourgeois goethéen de la Bildung. Cette place éminente des juifs allemands et leurs contributions ne devinrent pleinement apparentes qu'après leur disparition.Avant 1933, les autres Européens craignaient, admiraient, enviaient et ridiculisaient les Allemands ; les juifs seuls semblent les avoir aimés. Heine fut l'un des premiers à insister sur leurs similitudes, il salua les« deux peuples éthiques » de l'Europe. Juifs et Allemands, observa Walter Benjamin en 1917, « sont face à face comme deux extrêmes apparentés : ils sont accrocheurs, consciencieux, travailleurs et cordialement détestés par les autres. Juifs et Allemands sont des exclus ». Le respect partagé de l'écrit a fait des juifs le peuple du livre et des Allemands celui des poètes et penseurs (Dichter und Denker).
La fin : après un court internement dans une prison de la Gestapo, Hannah Arendt décide de quitter l'Allemagne sur le champ. Le train qui l'emmena filait dans une direction opposée à celle qu'avait prise deux siècles plus tôt le jeune Moses Mendelssohn, sur le chemin de la gloire et de la fortune, dans le Berlin des Lumières. Pourtant, en 1939 Martin Buber n'en finissait pas de s'extasier sur la symbiose judéo-allemande : les nazis y avaient mis une fin brutale, assurait-il, mais elle pourrait bien renaître un jour.
Eugène Berg

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Requiem allemand