L'heure de vérité

Rezension / Compte rendu:
L’heure de vérité

C’est tout le mérite de Bernard de Montferrand, ancien ambassadeur de France à Berlin jusqu’au début de l’année 2011, que de mettre, avec l’historien Jean-Louis Thiériot, les points sur les i pourque la France enfin comprenne la position de l’Allemagne dans cette crise qui ébranle l’euro et l’Europe. Leur ouvrage, intitulé « L’heure de vérité », semble avoir été écrit dans la précipitation, à en juger par le nombre incroyable de fautes de frappe et une fâcheuse liberté d’écriture des expressions allemandes presque systématiquement sans rapport avec l’orthographe réelle des vocables cités (et ils sont nombreux). Possible explication à cette précipitation : le sujet est vraiment d’actualité. En raison de la crise de l’euro, mais aussi en raison des prochaines élections présidentielles. Car si les auteurs expliquent avec brio les différences de comportement au niveau des partis politiques, les raisons historiques, les contraintes juridiques et constitutionnelles ainsi que les mécanismes de gestion et les réactions de l’opinion publique qui ne sont pas toujours les mêmes en France et en Allemagne, ils ne cachent pas non plus que « l’Allemagne impressionne, agace et inquiète ».
Certes, l’amitié entre les deux pays est « une évidence et une certitude », mais cela n’empêche pas la critique. Le décrochage économique de la France observé depuis le début des années 2000 (« Les Français ont préféré s’endetter pour augmenter leur consommation plutôt que de conserver leur part de marché dans le monde en améliorant la compétitivité ») s’accompagne d’un satisfecit très français qui relativise certaines prestations du « modèle allemand » (par exemple la récession allemande a été en 2009 presque deux fois plus forte que celle de la France) : « Si l’économie mondiale tousse, l’économie allemande est condamnée à s ’enrhumer plus que d’autres ». Les auteurs rappellent que dans le passé, « les avantages économiques ou politiques que l’un gagnait l’étaient en général au débit d’un autre partenaire » et que « l’un s’enrichissait de l’appauvrissement d’un autre, ce qui est la définition du mercantilisme ». Ils demandent en guise de conclusion s’il est possible au 21e siècle de créer « une société internationale coopérative ».
Message adressé surtout au couple franco-allemand, surtout que les deux pays se rapprochent sans cesse. Alors que l’Allemagne et la France affichaient jadis « des comportements opposés de manière souvent caricaturale » sur la question de l’interventionnisme économique, il n’en est plus rien aujourd’hui, « parce qu’une certaine hypocrisie allemande sur l’action publique dans l’économie a disparu ». Si Bismarck est évoqué dans cet ouvrage très dense, c’est pour mieux expliquer le retour d’une certaine forme de patriotisme (et non pas de nationalisme) en Allemagne. Nul doute que certains lecteurs allemands feront néanmoins la moue en apprenant que « les bureaux de nombreux décideurs sont aujourd’hui décorés de portraits quasi officiels de Bismarck », à l’instar des « portraits de Napoléon dans les palais nationaux français ».
Bernard de Montferrand, qui avait publié un rapport sur la relation franco-allemande en posant la question de savoir si la nécessaire convergence de vues était une contrainte ou une opportunité, fournit dans ce livre, avec son co-auteur, sinon une réponse, du moins des axes de réflexion qui permettent d’affirmer qu’une convergence est possible. Non sans rappeler au passage que « l’Allemagne avait avec la France contribué à affaiblir les disciplines communes, violant à six reprises le pacte de stabilité ». Et de constater que  « les Allemands servaient un argumentaire d’une rationalité à toute épreuve, mais dont le rythme paraissait toujours singulièrement décalé par rapport à la situation sur les marchés ».
Gérard Foussier