Regards sur le passé : La perception de l'Histoire

La publication d'un manuel d'Histoire, réalisé encommun par des Français et des Allemands pourles établissements scolaires des deux pays, est sansconteste un événement qui justifie l'intérêt que lesrédactions de Documents à Paris et Dokumente àBonn traduisent dans ce numéro par un dossiersur l'Histoire ; un dossier sur la façon dont elle estprésentée aux Français et aux Allemands ; sur lamanière dont elle est perçue dans l'un et l'autrepays ; sur les méthodes en place susceptibles demieux faire comprendre le passé à tout un chacun.Le manuel franco-allemand est sans nul douteun exemple que d'autres pays, en mal de voisinage,souhaiteraient sûrement copier pour que lesfaits historiques ne soient plus faussés par desvisions nationales étriquées. Que ce manuel nesoit pas parfait, Documents s'en est déjà fait l'échodans une édition précédente (voir N° 2006/03),mais depuis qu'il est à la disposition des élèves, lesréactions montrent bien que l'intention louableet historiquement inédite relativise largement certaineserreurs de présentation, d'ailleurs facile àcorriger dans de futures éditions.Rien n'est jamais parfait. Personne non plus etl'actualité estivale aura apporté une preuve éclatantede la complexité que représente la maîtrisedu passé. Le dernier livre de Günter Grass, réduithélas par les critiques littéraires pratiquement auxseules lignes de son aveu tardif sur sa présencedans les Waffen-SS à l'âge de 17 ans, constitue luiaussi, sinon un livre d'Histoire, du moins untémoignage de première qualité. Là où les auteursdu manuel franco-allemand ont cherché la plusgrande objectivité, Günter Grass n'a pas hésité àmiser sur la subjectivité pour transcrire ses souvenirs,parfois flous, d'une époque douloureuse.Un manuel, une autobiographie – ce ne sontpas les seuls vecteurs de promotion que l'Histoirea à sa disposition. La caricature, au sens large duterme, est parfois une arme qui fait mal. La représentationdu chien, aussi anecdotique que celapuisse paraître a priori, n'est pas innocente dansle discrédit. Arme psychologique avant tout, elle aeu sa place, notamment pendant la GrandeGuerre entre la France et l'Allemagne. Passérieux ? La caricature vient parfois des milieux lesplus respectés, comme le montre l'attitude,déplorable, de ces paléontologues et historiensfrançais et allemands de la fin du XIXe siècle,cherchant à démontrer que les rivalités francoallemandes– héréditaires, disait-on alors –remontaient jusqu'aux hommes de Neandertal etde Cro-Magnon. Là encore, l'Histoire a heureusementfait l'objet de profondes corrections. Unsiècle et demi après la découverte de quelquesossements près de Düsseldorf, c'est l'Histoire del'Homme que l'on réécrit.Les musées ont eux aussi un rôle essentiel àassumer. Que deux établissements, le MuséeHistorique allemand de Berlin et le Musée del'Histoire de l'art de Magdebourg, s'associentpour présenter deux facettes chronologiques de lalongue épopée du Saint Empire romain germanique,cela montre la richesse des documentsencore disponibles, qui permettent peut-être de sefaire une meilleure image de l'Histoire. LeConseil de l'Europe ne s'y est pas trompé, qui aapporté son soutien financier à l'initiative, carl'Histoire du Saint Empire, c'est aussi celle del'Europe, de ses rivalités, de ses antagonismes.La perception de l'Histoire, c'est aussi la compréhensiondes mots : tous les vocables n'ont pasles mêmes repères en France et en Allemagne.Qui comprend par exemple ce que signifie l'Estpour l'Allemagne, comprend aussi le phénomènede l’« ostalgie » qui se fait jour outre-Rhin.Car il ne faut pas l'oublier : même les manuelscommuns, même les initiatives communes n'éviterontpas les différences entre les deux pays.L'exemple des systèmes bancaires en dit long surla culture de l'argent. Celui de la coopération, difficile,au sein de l'industrie aérospatiale et de larecomposition boursière en Europe n'en est pasmoins évocateur. L'Histoire se nourrit des différenceset des différends. Gérard Foussier