Le socialisme à l'épreuve du capitalisme

Autor/Hrsg Auteur/Editeur: Cohen, Daniel, Bergounioux, Alain (dir.)
2012, Fayard et Fondation Jean-Jaurès, Paris, ISBN10: 2213666032

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Rezension / Compte rendu:
Antagonique et complémentaire
Une réflexion sur les socialismes en France et en Europe

Suite à un colloque qui s’est tenu à Paris en janvier 2011, la Fondation Jean-Jaurès propose un ouvrage collectif sur les rapports noués dans le temps entre le socialisme et le capitalisme – un sujet d’actualité qui permet de mieux cerner les difficultés idéologiques auxquelles l’équipe gouvernementale en place à Paris depuis le mois de mai 2012 reste confrontée.

Publiées avant la victoire du candidat socialiste François Hollande à l’élection présidentielle, les différentes contributions de ce livre mettent en exergue les « problèmes identitaires que connaît le socialisme européen », qui selon les auteurs tiennent à un « manque de clarté » sur ces rapports. Si le socialisme s’est d’abord défini historiquement par une critique du capitalisme et de la société qu’il façonne, la notion même de capitalisme a considérablement évolué depuis le 19e siècle. En France, « la SFIO, comme le PSU, puis le PS n’ont pas modifié le fond de leurs doctrines ». Mais la mondialisation, la domination du capitalisme financier et de la technologie, ainsi que l’apparition de nouvelles structures sociales ont changé la donne. Après avoir évoqué le tournant du 19e au 20e siècle, puis les réponses à la crise de 1929 fournies par plusieurs pays (notamment la France avec un socialisme, « dont le ralliement au marxisme apparaît fort ambigu », écrit en substance Serge Berstein, professeur à Sciences Po) les auteurs s’attachent à passer en revue l’état d’esprit des trois décennies d’après-guerre (1945-1975), communément appelée les Trente Glorieuses, au cours desquelles la culture politique socialiste en France est fondée sur le principe d’un Etat fort.

Les réformes en Allemagne

En Allemagne le SPD, considéré en 1891 comme « le parti marxiste par excellence », procède à une profonde remise en question (notamment après sa cuisante défaite électorale de 1957) lors de son congrès à Bad Godesberg en 1959, considéré comme « emblématique de la mue révisionniste de la social-démocratie allemande », pour réagir à la politique du chancelier chrétien-démocrate Konrad Adenauer. Un débat révisionniste avait été lancé en 1903, douze ans après la fondation du SPD à Erfurt, qui se terminera en faveur de « l’orthodoxie marxiste ». Déjà, le parti cherchait comment passer d’une société capitaliste à une société socialiste – et d’aucuns estimaient à l’époque qu’ « il ne fallait pas nécessairement en passer par l’effondrement du capitalisme ». Le SPD conservera certes sa terminologie révolutionnaire, mais prônera désormais une politique guidée par le souci permanent de la réforme. En 1921 à Görlitz, le SPD s’orientera vers une nouvelle voie pour devenir un parti populaire, sans abandonner pour autant les positions marxistes sur la lutte des classes et l’anticapitalisme. La révision des fondements théoriques du SPD n’interviendra cependant que 38 ans plus tard. S’il ne constituait pas une rupture par rapport à la tradition du parti, le programme de Bad Godesberg, réformant le parti de fond en comble, présentait désormais les valeurs fondamentales que sont la liberté, la justice et la solidarité, non plus comme « des vérités dernières », mais comme des idéaux, transposant l’impératif démocratique dans tous les domaines de la société et de l’économie. Ce programme, considéré comme la « plate-forme d’une démocratie libérale pluraliste », comme le rappelle Beatrix Bouvier (de la Fondation Friedrich-Ebert), séparait clairement objectif et moyens à mettre en oeuvre. Le parti socialdémocrate allemand (SPD) venait d’abandonner le « socialisme scientifique » du 19e siècle pour un « socialisme démocratique » (expression utilisée par Willy Brandt), loin des théories, plus près de la pratique. L’auteur de ce chapitre sur la social-démocratie allemande pose ouvertement la question de savoir si « les décennies de responsabilité gouvernementale et les changements survenus depuis ont amené, et amènent toujours, le SPD à se demander s’il n’a pas besoin d’un nouveau programme de principe ». Car de nombreux défis majeurs (l’unification du pays, pour ne citer que lui) contraignent le SPD à réfléchir à son avenir face aux multiples mutations de la société et aux transformations des milieux sociaux.

Socialisme et social-démocratie

Par rapport au congrès du SPD de 1959, les autres partis socialistes en Europe n’ont pas connu la même évolution. Les mesures de la gauche prises en France pendant les années Mitterrand dans le domaine économique et social sont davantage l’expression « d’un dialogue social modernisé et efficace que celui d’une brèche ouvrant vers un hypothétique pouvoir ouvrier ». Dans sa contribution sur le socialisme et l’écologie, Aurélie Filipetti (qui n’était pas encore membre du gouvernement socialiste de François Hollande au moment de la parution de l’ouvrage) concède que le socialisme, « qui a su théoriser la régulation de l’économie de marché », a eu du mal à prendre en compte l’écologie, car « comme le capitalisme, le socialisme est né de la révolution industrielle où le mythe de la croissance illimitée a progressivement occulté la relation avec la nature ». Et d’affirmer que « c’est bien au sein du parti socialiste et des formations social-démocrates que doit se faire la mutation écologiste de la gauche ». Tout au long de son propos, la future
ministre fait référence plusieurs fois à son appartenance au mouvement « social-démocrate », mais signe « députée socialiste de Moselle ». La nuance est plus que sémantique, car si l’ouvrage de la Fondation Jean-Jaurès brille par ses diverses définitions et ses catégories critiques (sociale, morale, écologique) du capitalisme, il ne cache pas non plus la différence entre « les socialismes » en Europe, tout particulièrement entre socialisme et social-démocratie, surtout au lendemain de la faillite du communisme à l’Est dans les années 90 du siècle passé, qui fit que « le capitalisme et la démocratie libérale devinrent soudain l’avenir du socialisme ». Distinctions dues aux évolutions du capitalisme, des syndicats et des intérêts dictés par des réalités souvent locales ou régionales.
Alain Bergougnioux, membre du conseil d’administration de la Fondation Jean-Jaurès et professeur à Science Po (et qui a dirigé la publication de cet ouvrage avec Daniel Cohen), fait remarquer que l’acceptation de la démocratie et du pluralisme sont « l’oeuvre fondamentale de la social-démocratie, qui constitue son éminente dignité et mérite d’être théorisée ». Reste la comparaison avec le travaillisme britannique, source d’affrontements au sein de l’Internationale socialiste, que Tony Blair a voulu, mais en vain, remplacer par une Internationale démocrate.
En conclusion, trois grands modèles de socialisme sortent du lot : le modèle de parti, celui des réformes doctrinales et celui des politiques gouvernementales. Quoi qu’il en soit, les partis se réclamant du socialisme ont connu aussi bien des succès que des désillusions. Marc Lazar, professeur à Sciences Po, relève entre autre ce qu’il appelle « une panne intellectuelle », lorsqu’il écrit qu’ « il n’y a plus de modèle pour la social-démocratie, qui se montre incapable de se redéfinir, de redessiner un projet, de proposer un avenir ». Et de constater qu’en fait le socialisme forme avec le capitalisme « un couple à la fois antagonique et complémentaire ».
Jérôme Pascal

Zwischen Sozialismus und Kapitalismus
Ein Kolloquium und daraus entstandener Sammelband der Jean-Jaurès Stiftung veranschaulicht die ideologischen und realpolitischen Schwierigkeiten, mit denen die Regierung Hollande seit Mai 2012 konfontriert ist.
Red.

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Le socialisme à l'épreuve du capitalisme