Beim Häuten der Zwiebel

Autor/Hrsg Auteur/Editeur: Grass, Günter
2006, Ed. Steidl, ISBN10: 3423136553

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Ce livre a fait l'objet d'un compte rendu de lecture dans le numéro : Documents 5/2006 

Rezension / Compte rendu:
Regards en arrière

Et si l'on faisait abstraction de ces deux ou trois pages, qui ont alimenté la polémique de cet été ! Le dernier livre de Günter Grass mérite plus qu'un seul jugement sur le long silence de l'auteur. Certes, c'est un aveu, un aveu qui surprend, mais il y a le reste: des pages entières de souvenirs, écrites avec ferveur et sincérité, avec le talent des narrateurs qui n'ont pas pour seul souci d'être exhaustifs, mais d'être crédibles.
Le récit de Günter Grass fournit des informations détaillées sur la vie à Dantzig, aujourd'hui Gdansk en Pologne ; sur le comportement des parents, des voisins, des copains de classe, des amis et surtout de l'auteur à la recherche de chaque petite trace susceptible de rallumer la flamme du souvenir. Il y a l'image de l'oignon que l'écrivain pèle pour déceler ce que chaque pelure peut cacher, au risque d'en avoir les larmes aux yeux. Il y a l'image de ce morceau d'ambre transparent, qui a renfermé tout ce qu'il a pu capter avant de se solidifier à jamais. Bien sûr que l'auteur nous livre une multitude d'anecdotes, qui peuvent paraître bien sottes face à la cruauté du monde, à l'horreur de la guerre et aux excès du régime en place. Mais chacune de ces anecdotes est le reflet d'une époque, qui voit chaque année disparaître inéluctablement ses témoins.
Günter Grass parle donc de son passé. Il s'en veut de n'avoir jamais dit « pourquoi ? » à ceux qui l'entouraient. Ce reproche qu'il formule à sa propre adresse est une obsession tout au long du livre. Pour traduire ce qu'il a vainement essayé de rayer de sa mémoire et qui revient dans ce livre comme une photo jaunie, à laquelle un logiciel d'ordinateur aurait réussi à redonner quelques couleurs et contours, il crée une série d'adverbes pour avouer qu'il « ne sait plus quand » (weißnichtwann), qu'il « ne sait plus où » (weißnichtwo), qu'il « ne sait plus qui » (weißnichtwer). Günter Grass concède plusieurs fois dans son récit qu'il n'a pas toujours de souvenirs précis, du moins pas dans le moindre détail. On ne compte plus les points d'interrogation, lorsqu'il ouvre son album de photos caché dans un coin de sa mémoire. L'auteur reste parfois devant une page vide de son passé, il se demande si cette page est vraiment vide ou au contraire s'il est incapable de la lire. Il a gardé des images, parfois floues, de sa jeunesse et s'accorde le droit d'imaginer ce dont il ne se souvient plus. C'est un film, où les images ne sont plus dans le bon ordre, où d'autres sont effacées, d'autres encore semblent venir d'ailleurs, d'une autre époque. Il n'est pas seulement le biographe de sa propre vie, il en est aussi le romancier.
Mais il ne le cache pas. Il rend hommage à sa mère, essayant de deviner ce qu'elle pensait, lorsque, aujourd'hui, il regrette de ne pas lui avoir posé toutes les questions, qui auraient pu aujourd'hui alimenter et égayer son récit. Il se complait à raconter les heures passées dans un camp de prisonniers en Bavière, mâchouillant du cumin sous la pluie avec son copain Joseph, un jeune Bavarois originaire de Altötting, étudiant en philosophie à Freising, capable de rêver en latin. C'est avec ce Joseph, sans cesse cité dans le livre, qu'il joue aux dés pour deviner son avenir : celui qui gagne sera évêque, l'autre sera artiste. Günter Grass imagine avec force que Joseph est aujourd'hui pape, mais même sa sœur a du mal à le croire et lui reproche d'inventer ce genre de contes, comme il l'a déjà fait à maintes reprises dans ses romans. L'auteur n'en démord pas : et si les dés en avaient décidé autrement… Günter Grass au Vatican, Josef Ratzinger Prix Nobel de littérature…? Le lecteur reste sur sa faim. Faut-il croire à cette rencontre ? Ou bien s'agit-il d'une nouvelle métaphore pour méditer avec lui sur la foi et la Providence ?
Chaque description, chaque sentiment a sa place dans cet espace de vie qu'il essaie de passer en revue, sans craindre d'user, voire d'abuser des métaphores. Procédé bien connu chez Grass, que l'on retrouve pratiquement dans chaque titre et chaque dessin de ses ouvrages. Déjà, tout gosse, il collectionnait les images vendues avec les paquets de cigarettes. C'était son livre d'Histoire, son livre d'art, sa référence culturelle. Il vit si près de ces images, que le personnage central du « Tambour », Oskar Matzerath, redevient un être vivant, un vrai, un témoin, comme beaucoup de ses amis, voisins et collègues, qui sous d'autres noms ont émaillé ses écrits. Le message est clair: l'œuvre de Günter Grass fait partie intégrante de sa biographie. Les personnages de roman reprennent subitement vie à la lecture du dernier livre de l'auteur. A la tendresse des descriptions s'ajoute l'amour pour le détail futile. Et toujours cette question : pourquoi ?
Günter Grass décrit la naïveté de l'enfance et incite le lecteur à se demander, si lui-même, en d'autres circonstances, il aurait, à 10-12 ans, à 14-16 ans, et même un peu plus tard, lancé des « pourquoi » à son entourage pour remettre le monde en question. La « souillure » du silence de ces soixante dernières années est une chose, la narration en est une autre. La célébrité de ces dernières années a éclipsé les années difficiles de l'après-guerre, où le jeune Günter souffrait de la faim: faim de nourriture bien sûr, mais aussi faim de femmes qu'il ne parvient pas à convoiter, et faim de culture pour donner corps aux œuvres de ses images de gosse. Sans formation scolaire depuis la quatrième, il se retrouve travailleur dans la mine à 950 mètres sous terre, puis sculpteur de pierres tombales, puis ravaleur de statues sur les façades dégradées par les bombardements, avant de s'initier au dessin et à la poésie, puis au roman, retapant à deux doigts sur sa vieille machine à écrire les longs feuillets manuscrits nés de son inspiration.
Il décrit avec précision ses années passées à Paris, au cours desquelles est né « Le Tambour »; sa femme Anna apprend la danse chez Madame Nora Place Pigalle, mais elle est refusée chez les « Blue Bell Girls » à cause de ses jambes trop courtes; lui se lie d'amitié avec Paul Celan et découvre les bancs du Canal Saint Martin pour chercher, comme il dit, le premier mot de son futur ouvrage. Chaque détail à son importance.
Günter Grass tente d'expliquer dès les premières pages les raisons qui l'ont poussé à écrire sa propre biographie. L'une d'elle, dès les premières pages de son livre, est une confession : avoir le dernier mot. Après quelques escapades dans les dernières décennies, il explique à la fin de son autobiographie pourquoi il arrête ses souvenirs à 1960 – il n'a plus d'oignons à peler. Et surtout, il n'a plus envie, alors que son succès et sa notoriété ont désormais gravé chacun des ses gestes, chacune de ses paroles dans le marbre.
Quelques paragraphes auront suffi pour détourner l'attention de ses lecteurs. Même si la polémique sur son bref passé dans les Waffen-SS est légitime, il est regrettable que cet aveu tardif ait occulté le travail d'un grand écrivain, qui veut expliquer l'ensemble de son œuvre. Un peu comme s'il avait le sentiment de ne pas avoir été vraiment bien compris jusqu'à ce jour.
Gérard Foussier

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Beim Häuten der Zwiebel